Ce qu'on appelle une «bêta" dans le monde du logiciel : une version qui ne peut être commercialisée en l'état, car contenant encore des "bugs". Les éditeurs s'appuient, bien au-delà de leurs propres équipes, sur une communauté de "bêta-testeurs", nombreuse et de qualité, pour identifier et supprimer aussi vite que possible les dysfonctionnements résiduels.

Le Web a généralisé cette approche en mobilisant des centaines de milliers d'internautes prêts à collaborer gracieusement pour améliorer en permanence des services «bêta», loin donc d’être lancés confidentiellement. Améliorations, voire innovations : les utilisateurs ne sont plus seulement des bêta-testeurs, ils constituent une sorte d'immense laboratoire de Recherche et Développement pour Google et les autres ; au reste l'identification et la mise en oeuvre de ces améliorations sont à présent automatisées, comme le montre la capacité des grands Web media à changer leur page d'accueil quasi instantanément en fonction des statistiques remontées par le Web. Il n'y aura bientôt plus de version «définitive" d'un service : on entre dans le monde du provisoire généralisé.

Qu’en est-il de la formation ? Si la notion de version bêta n'a pas autant de force que dans le monde du software ou du Web, elle fait son chemin petit à petit. Par exemple à travers la montée en puissance des «pilotes» destinés à tester et valider des hypothèses d’ingénierie de formation et de conception pédagogique, au moins sur les grands chantiers de formation touchant notamment à une réorganisation de l'entreprise, un changement d'applicatif métier, l'alignement sur les valeurs d'un groupe à la suite d'opérations de fusion-acquisition ou un vaste programme de formation managériale. On aurait cependant tort de croire que cette pratique est solidement ancrée ; et quand le pilote d'un projet de formation est lancé, c'est parfois sans réflexion vraiment approfondie sur les populations cibles qui seront mises à contribution (bêta-testeurs de formation) et les "coups d'après", notamment le traitement du feed-back qui permettra d’améliorer l'existant, et plus encore la façon dont on mobilisera dans la durée l’amorce de communauté d'apprenants / référents qui se sera constituée dans la phase pilote.

Il y a là un enjeu considérable pour les responsables formation : à l'instar de ce qu'on constate ailleurs, la capacité à créer et à nourrir durablement la  "relation client" - ici la "relation apprenant" - va rapidement devenir décisive dans le succès des organismes de formation ou des départements formation internes. La notion de "pilote de formation" est de nature à créer et renforcer ce lien. Les apprenants contribuent au design de la solution tout au long du processus qui aboutira au parcours de formation finalement lancé (pas seulement lors d'un interview au moment de l'expression des besoins). Un parcours qui pourra continuer d'évoluer, en tirant parti de cette première communauté d'apprenants amenée, si elle est convenablement animée, à s'étendre rapidement à d’autres sujets de formation.

Par ailleurs la formation se digitalisant, ses propositions intègrent toujours plus de contenus et de services Web, de sorte qu'un pilote de formation pourrait à son tour devenir dans ses composantes de formation en ligne (e-learning ou autres), une bêta-test perpétuelle alimentée des suggestions des apprenants. Les producteurs de contenus e-learning sur mesure ont encore beaucoup à faire, alors que leur gestion de projet, traditionnelle, est encore éloignée des principes d’agilité qui préside au développement Web.

Michel Diaz

Tribune initialement parue dans Formaguide